vendredi 21 septembre 2012

"C’est une vengeance inconsciente"




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Me Etienne Noël : " Pour certains détenus, la perpétuité devient le plus proche possible de la réalité."

Avocat pénaliste à Rouen, Me Etienne Noël, qui défend les trois détenus réunionnais, est aussi secrétaire national de l’Observatoire international des prisons (OIP). Il a gagné plusieurs procès contre l’Etat et l’administration pénitentiaire attaqués pour les conditions de détention déplorables dans les prisons françaises.

42 ans de prison, 40 ans pour Serge Lebon, 34 ans pour Jean-Luc Rivière, comment a-t-on pu en arriver à de telles situations ?
Ces personnes étaient détenues depuis très longtemps lorsque la loi sur l’aménagement des peines est passée en 2000. Avant cette date, les décisions de libération conditionnelle étaient prises par la chancellerie et n’étaient pas susceptibles de recours.
Avant, un détenu était proposé pour une libération et le ministère de la Justice avait un pouvoir discrétionnaire. J’ai le sentiment que ces trois détenus étaient déjà oubliés à cette époque-là. Après la loi de juin 2000, peu d’avocats intervenaient en prison. J’étais l’un des seuls.
M. Casanova Agamemnon a essayé de se battre pour sortir avec quatre demandes. M. Rivière aussi. M. Lebon était, lui, dans un tel état psychologique qu’il était incapable d’imaginer pouvoir sortir de prison. Il n’y pensait même pas. C’est terrible.
En France, il existe une propension à allonger la durée des peines qui est effrayante. Cela n’a plus aucune signification. Au final, la justice se retrouve avec des personnes qui présentent des troubles psychiatriques dont elle ne sait plus quoi faire. C’est ce qui s’est passé avec M. Marny (Pierre- Juste Marny, 68 ans s’est suicidé en prison en août 2011 en Martinique après 48 ans de détention dans quatorze établissements, ndlr). Il ne sortait pas de prison car personne ne savait où le mettre.
Selon vous, la justice a créé cette catégorie de détenus à perpétuité. Et il devient très problématique de les réinsérer. Du coup, ils restent en prison.
Exactement. Des gens sont envoyés en détention pendant vingt à trente ans et doivent se débrouiller pour se réinsérer de l’intérieur, pour préparer un projet de sortie. C’est quelque chose que je condamne autant que les sorties de prison sèche en maison d’arrêt. La justice met des gens en prison et les fait ressortir au bout de six mois sans se soucier de quel état il se trouve. Et sans réfléchir à la récidive.
Existe-t-il beaucoup d’autres prisonniers en France dans ce cas ?
Je n’ai pas moyens de le savoir. Je m’occupe de trois personnes dans ce cas. Je trouve cela énorme. L’administration pénitentiaire ne communique pas sur ces sujets.
Vous parlez d’oubliés ?, mais n’est-il pas plus juste de parler de “bannis ? de la République ?
On peut effectivement parler de bannissement. Nous sommes dans le cas où la République oublie plusieurs de ses citoyens. D’autant plus que mes trois clients ne sont pas dans leur milieu d’origine. Ils sont enfermés à l’intérieur de murs qui appartiennent à la République. Il n’y a pas de raison que le droit s’arrête à la porte des prisons. Le droit à mener une vie normale après tant d’années.
Selon vous, on se trouve plutôt dans la vengeance ?
Oui, c’est une vengeance inconsciente. Pour certains détenus, la perpétuité devient le plus proche possible de la réalité. A partir du moment où l’on fait souffrir l’esprit et le corps au-delà de la souffrance ordinaire de toute privation de liberté, il s’agit d’un traitement inhumain ou dégradant. Ou plus prosaïquement de la vengeance. Cela n’a plus rien à voir avec la lutte contre la récidive. On tombe dans le fantasme.
Qu’attendez-vous de la nouvelle politique pénale mise en place par Mme Taubira ?
J’espère que la justice va arrêter de considérer l’emprisonnement comme la première des solutions. Il faut privilégier d’autres formes de sanctions, comme la peine de probation. Supprimer les peines plancher est une bonne décision mais il faut aller au-delà : réformer la détention provisoire, les comparutions immédiates. Il y a beaucoup à faire. Il faut que ceux qui partent en prison soient ceux pour lesquels il n’y a aucune autre solution. Je suis persuadé que cela ne concerne qu’une petite minorité. Il faut aussi une nouvelle politique d’aménagement des peines avec l’embauche de conseillers d’insertion et de probation.
En Allemagne, personne ne peut rester en prison au-delà de quinze ans. La France est l’un des pays d’Europe où les personnes sont détenues le plus longtemps. Et la durée moyenne d’incarcération est en train d’augmenter. Actuellement, elle est de huit mois